Le courtier africain Tati-Desponts, sur la Côte d’Angole, à la fin du 18e siècle

6 Juillet, 2023

Guy Saupin

Le portrait de ce courtier du site de Malimbe (extrême nord de l’actuel Angola), porte maritime du royaume du Kakongo, au nord du fleuve Zaïre, nous est transmis par une gravure insérée par le capitaine de navire malouin Louis Ohier de Grandpré dans sa relation de l’expédition de traite conduite en 1785-1786, publiée à Paris en 1801.

Malimbe, un site de traite de la Côte d’Angole

Le dessin saisit Tati-Desponts dans son déplacement de sa « petite terre », nom donné à son village et terres environnantes dans lesquels il a sa maison, ses esclaves et de nombreux dépendants, vers la baie de Malimbe où s’établit le contact avec les navires de la traite atlantique. Les Européens n’y disposent d’aucun fort et se contentent de quibanga, comptoirs transitoires de mode constructif africain. Pour des raisons sanitaires, les marins-commerçants dorment sur le navire, laissant la surveillance des marchandises sous garde africaine, contrôlée par l’administration royale. À cette date, Malimbe connaît la dernière phase d’un siècle d’intense activité commerciale, au second rang de la Côte d’Angole derrière celui, très proche, de Cabinde. Le comte de Capellis note en 1784 que « les nègres courtiers parlent presque tous français, anglais et hollandais [hiérarchie de fréquentation] avec une facilité naturelle bien étonnante, ne sachant n’y lire n’y écrire même dans leur propre langue ».

 
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Quibangua et intérieur d'un comptoir européen sur la côte d'Angola en Afrique, Dessin de Louis Ohier de Grandpré, gravé par Nicolas Courbe, 1801, © Centre des Archives d'Outre-Mer

Portrait de Tati-Desponts

Il s’agit d’un homme jeune, vêtu d’un pagne simple à la différence de son homologue Pangon de Loango saisi en position d’apparat, abondamment orné de perles de verre coloré d’importation, de chaînes et d’anneaux, sans doute de cuivre d’origine régionale ou extérieure. Il est coiffé d’un bonnet (mpu) et porteur d’un bâton, signes d’appartenance à l’élite, car son père, nommé Vabu, détient la charge de mafouc, défini par Ohier de Grandpré, comme « l’intendant général du commerce, forcé d’habiter le lieu où se fait la traite […]. Il fixe les prix des denrées et préside tous les marchés, juge en dernier ressort tout ce qui a rapport au négoce. » Même si cet office royal demeure sous le contrôle d’un supérieur nommé mambouc, réservé à un prince-né, pressenti comme héritier du trône, il ouvre l’opportunité de coiffer non seulement tous les officiers inférieurs chargés du contrôle concret sur le littoral, mais surtout l’ensemble des courtiers qui servent d’intermédiaires entre les marchands fournisseurs de l’intérieur et les capitaines de navire.

 

 

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Tati, surnommé Desponts, courtier de Malembe, venant de sa petite terre en hamac, Louis de Grandpre, Voyage a la cote occidentale d'Afrique, fait dans les annèes 1786 et 1787 (Paris, 1801), © Slavery Images

Le rôle des mafoucs dans les échanges

L’analyse des comptes de la Middelburgsche Commercie Compagnie zélandaise (MCC) pour la période 1749-1776 révèle que les mafoucs, qui représentent 5 % des vendeurs africains, ont assuré 10 % des transactions et des esclaves embarqués. D’autres officiers complètent. Les marchands non titrés, qui représentent la moitié des opérateurs, n’engagent que 34 % des transactions pour 31 % des esclaves. Selon les comptes de la MCC, les dix plus importants courtiers ont fourni de 110 à 391 esclaves sur des durées variables, productivité à comparer à celle de Tati qui en livre 34 au navire bordelais la Manette (250 tonneaux) en 1790, qui a chargé pour 60 % à Malimbe et 40 % dans l’embouchure du Congo.

Les échanges reposent sur le principe du troc dans un système d’équivalence basé sur des unités de compte. Grandpré calcule une valeur moyenne de 14 « marchandises » décomposées en « 64 pièces » pour un esclave « pièce d’Inde ». Au 18e siècle, les prix ont surtout explosé après la guerre de Sept Ans (1756-1763), presque multipliés par trois. Sur la Côte d’Angole, la demande inscrit sa spécificité dans l’importance accordée aux textiles indiens et européens. Dans les comptes de la MCC (1720-1796), ceux-ci représentent 63,8 % contre 57 % sur l’ensemble du littoral africain, devant les armes (21,4 contre 23 %), l’alcool (7,1 contre 10 %) et les divers (7,7 contre 9 %). Les « crayons embellis » ornant la relation de Grandpré en portent trace. Les pagnes sont le plus souvent tirés de tissus d’importation, d’origine plutôt européenne dans les dessins à rayures, à points ou quadrillages, ou plutôt indienne pour le décor floral.

La promotion économique et sociale, formalisée par le mariage de son père avec une sœur du roi de Cabinde, ce qui en fait un frère du nouveau roi dans la succession matrilinéaire, suscite des rivalités profondes. Le jeune Tati a été kidnappé par les hommes de son « suzerain » (chef de lignage) et exporté à Saint-Domingue où un capitaine de traite nommé Desponts l’a reconnu, racheté et ramené dans son pays, afin de rétablir le climat de confiance dans les affaires. L’association des deux noms agit comme révélateur d’une communauté morale marchande transculturelle.


Pour aller plus loin

🔶 Capsule vidéo « Le courtier Tati-Desponts sur le site de Malembe, royaume de Kakongo (1786 – 1787) » de Guy Saupin, dans le cadre de l’événement « L’histoire en images : l’esclavage », mai 2022. Consultable en ligne : ICI

 

 

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À propos de l’auteur

 

Agrégé d’histoire et docteur d’État, Guy Saupin est professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Nantes depuis 2015. Il est spécialiste des villes portuaires européennes et des relations entre Africains et Européens dans le monde atlantique à l’époque moderne. Son dernier ouvrage est intitulé : L’émergence des villes-havres africaines atlantiques au temps du commerce des esclaves, vers 1470-vers 1870, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2023.

Bibliographie

Ohier de Grandpré, Louis, Voyage à la côte occidentale d’Afrique fait dans les années 1786 et 1787…, Paris, Dentru, imprimeur-libraire, an IX (1801), 2 tomes. 

Albigès, Luce-Marie, « La traite à la ʺcôte d’Angoleʺ », Histoire par l’image [en ligne], mis en ligne en avril 2007. Consultable au lien suivant : ICI

Sommerdyk, Stacey, Trade and the Merchant Community of the Loango Coast in the Eighteenth Century, PhD University of Hull, 2012. Consultable et téléchargeable au lien suivant : ICI

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